12 avril 2023

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Fracture numérique :
une réalité pour les seniors et les précaires

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Fracture numérique : une réalité pour les seniors et les précaires

Je me souviens du film de Ken Loach de 2016 « moi Daniel Blake » qui montrait un chômeur et ses déboires pour percevoir ne serait-ce qu’une allocation car il fallait passer par internet.
Mais pour bon nombre de retraité-e-s peuvent vivre un tel cauchemar. Chacun d’entre nous a pu expérimenter à des degrés divers la généralisation du numérique et la suppression d’interlocuteurs (par guichet ou par téléphone)
A) Les exclusions pour ceux qui n’ont pas internet, voire un IPhone
A titre personnel j’ai été obligé de faire intervenir le défenseur des droits pour obtenir un papier pour ma mère de la mutualité sociale agricole. Il fallait que ma mère qui n’a pas internet ouvre un compte pour obtenir une attestation d’assurée. bien entendu sur le site il n’y avait aucun numéro de téléphone pour appeler. Il fallait créer un compte…
La poste est encore un bon exemple de cette fracture numérique. Si vous avez un problème de distribution de courrier, il est impossible de téléphoner à la poste pour avoir un responsable à qui expliquer son problème car il n’y a pas, comme avant de numéro de responsable de l’Agence. Il faut donc se perdre dans des robots pour trouver quelqu’un voire faire un compte pour obtenir un renseignement.
Le clou du fonctionnement ubuesque de la poste c’est la suppression du timbre rouge dit « rapide » désormais il faudra faire sa lettre sur internet aller chercher un etimbre puis passer à la poste avec le timbre pour ensuite mettre la lette scannée sous enveloppe à la poste ; ce qui suppose qu’on ait un ordi et un scan. Si l’on voulait sous-traiter à des entreprises privées le courrier, on ne pourrait pas faire mieux.
Au fond la poste ne s’occupera plus ni du courrier ni du retrait des lettres recommandées et des colis souvent sous traitées dans une supérette ou dans un bureau de tabac il ne lui restera plus que la banque postale les placements encore que la gestion passe au numérique pour l’essentiel. Mais la poste moyennant finances propose que les facteurs rendent visite aux personnes âgées ; cela ils le faisaient jadis en s’arrêtent pour les mandats et en causant un peu avec les personnes, car leur tournée n’était pas surchargée. Aujourd’hui les tournées ont été fusionnées, les facteurs ne montent plus les lettres recommandées même si vous êtes là et vous avez un avis de passage pour retirer votre lettre parfois à la poste parfois dans une annexe (bureau de tabac ou superette) On aimerait que la poste s’occupe de ce pourquoi elle a été organisée : le courrier, les lettres et paquets recommandées, les mandats… mais de cela elle ne s’occupe presque plus.
Si vous voulez vendre votre voiture vous êtes OBLIGE de passer par internet. Il reste néanmoins un service d’aide à la préfecture. Mais pour y accéder il faut souvent passer par internet pour prendre rendez-vous. C’est ce qui se fait aussi aux impôts, et pour un RV médical qui passe inévitablement par internet et la plateforme Doctolib
A la SNCF, si vous n’avez pas un IPhone, vous ne pouvez pas avoir les horaires de train même à la gare. J’ai demandé à un employé l’heure de départ de certains trains et il m’a dit de consulter le site. Pour les cartes de réduction senior, c’est sur votre IPhone ou bien il faut tirer un A4 papier car on ne vous donne plus la petite fiche cartonnée avec votre photo pour justifier l’utilisation de tarifs seniors. L’idée que, à la place d’un panneau de publicité DECAUX on puisse avoir un panneau éclairé avec les horaires des trains comme cela se faisait avant le numérique, devient une idée passéiste car tout le monde y avait accès sans même demander à un employé.
Ainsi, petit à petit l’ensemble des services administratifs passent à la numérisation le plus souvent sans qu’il y ait une possibilité de joindre quelqu’un directement par téléphone. C’est parfois un robot qui vous somme de taper 1 2 ou 3 pour arriver à un tel qui sonne longtemps et ne répond pas puis qui coupe et vous renvoie au robot de départ. En gros si vous voulez téléphoner il faut avoir le temps car cela peut durer quarante minutes.
B) Le rapport pertinent de la défenseure des Droits ; des constats très justes
Ce constat, l’ensemble des organisations de retraité-e-s le font tous les jours, l’ensemble des travailleurs sociaux qui côtoient des précaires des chômeurs aussi. Et même le gouvernement devrait en être conscient puisque le rapport de la Défenseure des droits 2022 sur le numérique, signale avec justesse l’ensemble des dysfonctionnements du système.
Car la dématérialisation des services publics – qui comporte des bénéfices incontestables notamment pour celles et ceux qui sont à l’aise avec le numérique et sont dans des situations administratives simples – s’est souvent accompagnée de la fermeture de guichets de proximité et donc de la suppression de tout contact humain. Il y a trois ans déjà, mon prédécesseur avait mis ce sujet sur le devant de la scène en publiant le rapport Dématérialisation des services publics et inégalités d’accès aux droits. Depuis cette date, les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience des risques que faisait courir à un grand nombre de nos concitoyens une dématérialisation engagée à marche forcée. L’effort de résorption des fractures numériques s’est sensiblement renforcé.

Mais le flux ne se tarit pas. Au quotidien, les délégués et les juristes du Défenseur des droits continuent de résoudre des litiges toujours plus nombreux, qui sont la conséquence d’une numérisation inadaptée aux situations des usagers. C’est pourquoi nous avons continué d’alerter régulièrement les autorités publiques des défaillances que nous constatons. C’est pourquoi aussi il m’est apparu nécessaire d’établir un rapport de suivi sur les inégalités d’accès aux droits provoquées par des procédures numérisées à marche forcée.

Ce rapport souligne que ce ne sont pas seulement les personnes âgées et les précaires qui sont touché-e-s mais l’ensemble des citoyens.
Mais ces publics ne sont pas les seuls à rencontrer des difficultés. En définitive, les effets de la dématérialisation nous concernent toutes et tous. Parce que chacun d’entre nous peut, un jour, rencontrer un blocage incompréhensible face à un formulaire en ligne, ne pas parvenir à joindre un agent, échouer à dénouer un problème, faute de dialogue. Mais surtout parce que la dématérialisation, telle qu’elle a été conduite jusqu’à présent, s’accompagne d’un report systémique sur l’usager de tâches et de coûts qui incombaient auparavant à l’administration. Portant atteinte au principe d’égal accès au service public, cette situation met également
Le rapport souligne aussi qu’il y a eu quelques efforts de l’état et des collectivités pour aider les personnes en situation de fragilité numérique aider.

Mais malgré cela, les travaux récents sur les phénomènes d’exclusion numérique estiment, aujourd’hui comme en 2019, à 13 millions le nombre de personnes en difficulté avec le numérique dans notre pays. Les laissés pour compte de la dématérialisation sont toujours aussi nombreux. Les réclamations traitées par l’institution sont elles aussi toujours plus nombreuses.
Il souligne la situation d’inégalités que provoque cette numérisation et la situation de dépendance que la numérisation instaure.

Des millions d’usagers n’ont tout simplement pas accès aux procédures dématérialisées, par défaut de couverture internet d’un débit (Rapport | Dématérialisation des services publics 2022 8) suffisant, malgré les progrès sur ce plan, par défaut d’équipement ou de connexion, par manque d’aisance avec les outils informatiques, par manque de compréhension de ce qui est attendu d’eux par la machine. Certaines personnes qui, auparavant, étaient en mesure de réaliser leurs démarches seules ne le sont plus. Si les plus éloignés du numérique en souffrent le plus, tout le monde peut être ponctuellement concerné.
Il constate que cette transformation numérique de l’administration, telle qu’elle est menée aujourd’hui, et la politique d’inclusion numérique qui l’accompagne, impliquent une transformation du rôle de l’usager dans la production même du service public : il en devient le coproducteur malgré lui. C’est à lui qu’il revient de s’équiper, de s’informer, le cas échéant de se former et, partant, d’être en capacité d’effectuer ses démarches en ligne, tout en répondant aux « canons » fixés par l’administration : comprendre les enjeux de la démarche, le langage administratif, ne pas commettre d’erreur au risque de se retrouver en situation de non-accès à ses droits.
En réalité il s’agit d’un transfert des tâches qu’assurait l’administration « Sur les épaules de l’usager ou de ses « aidants » [sur lesquels] reposent désormais la charge et la responsabilité du bon fonctionnement de la procédure. On demande en réalité aux usagers de faire plus pour que l’administration fasse moins et économise des ressources.
Dès lors [,…] , la Défenseure des droits ne peut que réaffirmer ce qui était écrit dans le rapport de 2019 : la dématérialisation ne sera pas un levier d’amélioration de l’accès de toutes et de tous aux droits si « l’ambition collective se résume à pallier la disparition des services publics sur certains territoires et à privilégier une approche budgétaire et comptable.

Ainsi il souligne que la numérisation, de fait, n’est pas là pour améliorer la vie des usagers mais essentiellement là pour une approche comptable c’est-à-dire la suppression massive de postes dans l’administration.

C’est pourquoi La Défenseure des Droits propose dans ce rapport des pistes pour contribuer à ce que la dématérialisation se fasse au bénéfice de tous les usagers, et non au détriment d’une partie d’entre eux.
Il faut bien sûr renforcer l’efficacité de la politique d’inclusion numérique, l’inscrire dans le temps, lui donner moyens et visibilité, améliorer la qualité des procédures dématérialisées. De nombreuses mesures sont proposées dans cette direction, en particulier pour les populations actuellement les plus pénalisées par la dématérialisation. Mais il est surtout proposé de renverser la perspective, et d’offrir aux usagers la possibilité de choisir réellement leurs modes d’interaction avec les administrations afin que le service public s’adapte aux besoins et aux réalités des usagers et non l’inverse. Il s’agit là de revenir aux fondements du service public et de revitaliser ses grands principes que sont la continuité, l’égalité et l’adaptabilité.
La dématérialisation des procédures administratives s’inscrirait ainsi comme une offre supplémentaire et non substitutive au guichet, au courrier papier ou au téléphone.
Ce serait d’ailleurs la marque d’une confiance réelle dans les gains qu’elle peut apporter pour améliorer l’accès de tous et de toutes aux droits. Elle permettrait de penser l’organisation du service public non pas à partir des attentes et des priorités des administrations, mais à partir de la situation réelle des gens, qui doit être reconnue et prise en compte, dans toute sa complexité. La transformation numérique des administrations n’est soutenable que si elle est incluse dans une ambition bien plus large et bien plus exigeante, celle d’une administration parfaitement accessible à tous et à toutes et investie de la responsabilité que chacun et chacune ait accès à ses droits.

C) Quelles revendications avancer ?
1) L’utilité du numérique
Il n’est pas question de remettre en cause la dématérialisation des services administratifs ou d’autres qui permettent parfois d’aller plus vite tant pour obtenir une attestation, pour permettre aux personnels soignants d’avoir une lecture rapide d’un dossier médical de patients qui va aux urgences, pour faire une réservation, pour acheter des tickets ou pour un spectacle…
Cette numérisation permet parfois de recevoir et d’envoyer des documents rapidement à une entreprise à un service administratif à une banque, d’autant plus rapidement que le service postal lui s’est dégradé la poste s’occupant de beaucoup de choses mais assez mal de ce qui était son premier rôle l’expédition du courrier.
Mais ça ne marche pas toujours ; et c’est quand il y a des problèmes : bug informatique occurrences mal définies, problèmes plus complexes que d’un seul coup la situation se dégrade Et à ce moment-là, vous n’avez plus aucun interlocuteur puisque ce sont des robots qui vous répondent. Et là seuls des habitués de l’informatique peuvent s’en sortir.
2) Mais aussi l’utilité de personnels compétents à l’écoute des usagers et des clients
Le numérique ne doit pas être une vision comptable pour supprimer des postes, mais doit permettre au contraire de libérer plus de temps pour le agents afin d’accompagner les usagers dans leurs démarches lesquelles sont parfois complexes puisque l’administration a tendance à faire faire à l’usager qui n’a pas de compétences du droit administratif, ce que faisait avant le fonctionnaire.
3) Quelles revendications
a) Une administration au service du public
L’obligation pour toutes les administrations d’avoir un service de réponses au téléphone avec suffisamment de personnel pour ne pas laisser l’usager attendre 30 à 40 minutes.

L’obligation d’avoir une adresse contact mail et un n° de téléphone d’un chef de services pour enregistrer les doléances des usagers sans passer par la création d’un compte en ligne. Exemple si vous ne recevez pas votre courrier ou un abonnement ou un changement d’adresse, il est impossible aujourd’hui de contacter par téléphone un chef de service pour signaler les incidents ; et sur place on vous renvoie parfois au site internet !!!

L’obligation de pouvoir prendre un rendez-vous téléphonique sans passer par internet et par la création d’un compte.

L’obligation dans les lieux publics gares arrêts de bus d’avoir une information sous formes de tableaux d’horaires sans passer par une consultation par internet, d’avoir aussi de plans du quartier.

b) une simplification administrative
Il faut aussi pour faciliter l’autonomie des usagers des services publics que les procédures administratives soient simplifiées. Est-ce utile de recommencer à écrire à sa mairie de naissance pour avoir un certificat de naissance de moins de 3 mois ?

c) L’obligation d’avoir un référent papier dans les lieux publics et privés

  • Carte pour les resto et pas simplement QR code ou tel portable
  • Panneaux d’affichage de TOUS les horaires de rain dans les gares comme cela était le cas avant. On affiche bien des pubs pourquoi ne pourrait-on pas afficher des horaires
  • Maintien des billets papiers
  • Maintien des facturettes papiers dans les magasins

d) Des services d’accompagnements dans toutes les administrations publiques
Justement la numérisation permet de libérer du temps pour développer des employés conseillers au service des usagers avec plusieurs postes informatiques afin d’aider les usagers et leur donner un minimum de formation pour redevenir autonome dans leurs demandes.

Gilbert DUMAS article écrit fin janvier 2023 et repris début avril

Un exemple personnel de fracture numérique
Dans mon immeuble il y a un monsieur en situation de précarité. Il travaillait dans un resto en temps partiel puis a été au chômage. Du coup il n’a plus pu payer son loyer pendant 3 mois ( il a donc un retard de 3 mois).
Mais comme il a été à découvert il n’a plus de chéquier.
Et comme il n’a pas internet il ne peut plus faire de virement bancaire.
Et comme la régie n’accepte que les chèques et les virements, il ne sait pas comment payer.
De plus comme il n’a pas internet car il n’a pas d’ordi et qu’il ne paie pas un abonnement internet au téléphone car il fait des économies sur tout ,il n’est pas renseigné sur l’état de son compte par une relevé papier mensuel. Il ne peut pas modifier ses prélèvements.
La seule chose qu’il eut faite c’est de retirer à sa banque du liquide et payer en liquide.
Pour l’aider je vais faire un chèque à sa place et il me paiera en liquide et je redéposerai cette somme sur mon compte.

Voila ce que c’est que le numérique pour les exclus !
Le 7 avril 2023